Les appareils de visions nocturne par intensification de lumière restituent les images par l'intermédiaire d'un écran phosphorescent. On distingue deux "couleurs" d'écran, le green phosphor et le white phosphor. Ces deux "couleurs" se distinguent par des avantages et des inconvénients, en fonction de l'usage qui sera fait de l'appareil.
On vous guide pour comprendre les différences entre ces deux types de phosphorescence et vous guider dans votre choix.
D'abord, quelques notions d'optique
Les tubes intensificateurs de lumière (Image Intensifier Tube en anglais, abrégé IIT) sont composés de trois éléments principaux. Premièrement une photocathode converti la lumière (les photons) en électrons. Ensuite la « microchannel plate » (MCP) multiplie les électrons. Enfin, l’écran phosphorescent est la partie la plus critique des tubes intensificateurs de lumière. Il reconverti les électrons provenant de la photocathode et multipliés par la MCP en lumière visible.
Les écrans phosphorescents sont généralement composés d’une fibre optique couverte d’un matériau phosphorescent. Il existe de nombreux matériaux phosphorescents, composés de terres rares et d’halogènes (rien à voir avec du « phosphore » donc). La « couleur » restituée dépend du matériau utilisé, classé par les fabriquant par la lettre P et un numéro. La majorité des tubes utilisent du P20 ou du P43 (green phosphor). Cependant les tubes utilisant du P45 (white phosphor) se démocratisent de plus en plus.
La performance de l’écran (et donc en grande partie du tube) est déterminée par 4 caractéristiques : le temps de décroissance (decay time), la résolution, le facteur de conversion, et le spectre émis.
Pour simplifier, le temps de décroissance défini la vitesse de rafraîchissement de l’image. Par analogie il correspondrait aux « fps » (frame per second) du tube. La plupart des matériaux phosphorescent ont un decay time de l’ordre de quelques millisecondes (par analogie toujours, environ 200 fps), à l’exception du P20 qui est plutôt lent : 60ms (soit ~17 fps).
La résolution défini la capacité à recréer une image fine, et dépend de la taille des particules utilisée pour fabriquer l’anode. Des particules plus fines permettent une meilleure résolution, mais au détriment du facteur de conversion (et du prix !). Pour ces raisons il est rare de voir des résolutions dépasser 80 lp/mm.
Le facteur de conversion traduit la capacité de l’anode à convertir les électrons en photons. Il dépend du matériau phosphorescent et de la tension d’accélération des électrons entre la MCP et l’écran. Ce facteur ne suffit pas en lui-même à garantir une image claire à l’utilisateur, car la perception dépend aussi de l’œil de l’utilisateur.
Le spectre émis est donc un paramètre essentiel pour optimiser la perception. La figure 1 présente les spectres d’émission des P43 et P45.
Figure 1: Spectres d’émission des tubes P43 et P45 (modifié d’après Chrzanowski 2013)
La figure 2 représente les pics de sensibilité des cônes de l’œil humain. On voit sur la figure 1 que les pics d’émissions du P43 sont proches des maximums de perception des cônes verts et rouges (533nm et 564nm respectivement). Le pic de gauche correspond aussi à la zone de sensibilité maximum de bâtonnets (à 498nm, non représenté sur la figure 2). Pour ces raisons le P43 est le plus rependu dans le monde militaire, puisqu’il est celui qui correspond le mieux à la capacité de perception des cônes, il rentabilise au mieux la capacité de conversion de l’écran. Le P45 quant à lui simule du blanc en ajoutant un pic vers le maximum de perception des cônes bleus (Figure 1 et deux, à 437nm). Le pic central reste dans la zone du vert (550nm), en revanche le pic le plus à droite s’éloigne du maximum de perception des cônes rouges (600nm, figure 1, contre 564nm, figure 2). Le P45 stimule mieux les batônnets, dont la sensibilité spectrale est plus étalée que celles des cônes. Les batônnets sont plus performants que les cônes dans la perception du contraste et jouent un rôle plus important dans la vision périphérique (ASU inc. 2015).
Figure 2: Pics de sensibilité des cônes de l’œil humain (modifié d'après Mysore et al. 2016)
Le white phosphor est-il compétitif avec le green phosphor ?
L’intérêt du P45 (white phosphor) est qu’il simule une image plus proche de la vision humaine naturelle dans des environnements de basse luminosité, c’est-à-dire dans une échelle de noir et blanc plutôt qu’en couleurs. Cette perception plus naturelle tend à moins fatiguer l'oeil (ASU inc. 2015). En effet, l’utilisation du P20 ou P43 sur des longues durées peu provoquer une fatigue de l’œil chez certains utilisateurs, induisant une perception en « fausses couleurs » (typiquement, l’utilisateur voit en rose/violet). Le pic supplémentaire dans le bleu du P45 peut aider à mieux percevoir les contrastes chez certains utilisateurs. Le P45 stimule mieux les batônnets que le P43, ce qui donne à l'utilisateur une meilleure vision periphérique (ASU inc. 2015)
Malgré ces avantages, il ne faut pas négliger les points forts du P43. Les images générées par le P45 sont plus sombres que celles générées par le P43 à design de tube identique, parce que l’efficacité lumineuse du P45 est plus basse. Certaines personnes ressentent moins de fatigue en P43 parce que le spectre correspond mieux à la capacité de perception de l’œil que le P45. Un point fort à ne pas négliger pour le P43 est que le spectre est moins étendu, ce qui rend le design des oculaires bien moins complexe. Le P45 induit de légères aberrations chromiques à travers les oculaires, ce qui rend l’image légèrement moins nette. Ce point est particulièrement important pour des applications comme la photographie.
White ou Green phosphor : pour quels utilisateurs ?
À performance de photocathode et MCP égale, un écran P43 rendra le tube bien plus performant qu’un écran P45 à basse luminosité. Pour toute utilisation ou la performance du tube est critique, le P43 reste le meilleur choix. Ainsi le P43 est loin d’être détrôné par le P45 dans le monde militaire. Le prix peut aussi être un argument, le P43 étant souvent moins cher à performance équivalente d’un P45. Pour toute application liée à de la photographie, astronomie, ou vidéo, il est plus intéressant d’utiliser du P43 et de corriger la couleur en post production.
Pour des applications plus "dynamiques", ou la perception des contrastes et du mouvement est plus importante, le P45 est plus pertinent. Typiquement le white phosphor est idéal dans un environnement urbain et périurbain. Enfin le confort visuel est un gros plus avec le P45. Beaucoup d’utilisateurs trouvent l’image P45 bien plus agréable sur une utilisation prolongée.
Dans la mesure du possible, essayez les deux avant d’acheter pour voir lequel convient le mieux à votre œil et à votre utilisation.
Références :
Chrzanowski, K. Review of night vision technology. Opto-Electron. Rev. 21, 153–181 (2013). https://doi.org/10.2478/s11772-013-0089-3
Aviation Specialties Unlimited Incorporated. (2015). Generation III based P45 white phosphor image intensifiers [white paper]. Retrieved January 14, 2019 from Aviation Specialties Unlimited Incorporated.
Mysore A, Velten A and Eliceiri KW. Sonification of hyperspectral fluorescence microscopy datasets, F1000Research 2016, 5:2572 (doi:10.12688/f1000research.9233.1)
Hamilton, J.A., Roush, G., Kinney, L.M.J. et al. Comparison of Night Vision Technology for Close-Quarters Combat Operations: How Field of View Impacts Live-Fire Scenarios. Hum Factors Mech Eng Def Saf 4, 8 (2020). https://doi.org/10.1007/s41314-020-00036-z